Villeneuve lez Avignon
Chartreuse-Cnes, Fort Saint-André, Musée Pierre-de-Luxembourg, Tour Philippe-le-Bel

DÉCORUM

Yohann Gozard

— En partenariat avec la Chartreuse-Centre national des Écritures du spectacle, la Ville de Villeneuve lez Avignon et le Centre des Monuments nationaux
Du 21 mars au 18 mai 2025
— Vernissage Jeudi 20 mars 2025 à 18h00 à la Chartreuse

DÉCORUMChambres, confinements, hagioscopes et vedute
Inspiré par la configuration de Villeneuve lez Avignon et les différents usages des sites patrimoniaux de la ville à travers l’Histoire, Yohann Gozard a engagé une réflexion et un travail liés à l’ambivalence de l’isolement et de la représentation, au décor, à la notion de point de vue, aux traces et aux récits.

Cette exposition résulte d’un programme annuel de résidence à Villeneuve lez Avignon, qui associe aux périodes de recherche et de création, des temps de partage avec les habitant·es. Adressé à un·e artiste qui vit et travaille en Occitanie – cette année, le photographe plasticien Yohann Gozard –, la résidence opère sur tout le territoire de la commune gardoise, permettant à l’exposition de se déployer dans les lieux partenaires : la Chartreuse (qui accueille l’artiste), le musée Pierre-de-Luxembourg, le fort Saint-André et la tour Philippe-le-Bel (où sont exposées des œuvres de la collection du Frac sélectionnées par l’artiste).

L’invitation de Yohann Gozard à Villeneuve lez Avignon a été l’occasion pour lui d’approfondir ses recherches sur l’empreinte de l’homme dans la construction du paysage, les traces, l’invisible et la croyance dans l’image. En toute logique, son travail fait écho à l’histoire de l’art et de la production d’images, et s’interroge sur la transmission et la mémoire.

Dans cette perspective le titre de l’exposition est parlant : si le terme « décorum » renvoie au décor, au théâtre et à l’illusion, il fait également référence à l’éclat pompeux des apparences et aux règles de bienséance qu’il convient d’observer en bonne société[1]. L’art n’est pas innocent.

Au monde étalé comme un spectacle, Yohann Gozard répond par une clarté enveloppante et le bruissement d’une vie silencieuse. Il est question de chambres, de confinements, d’hagioscopes et de vedute. Le point de vue de l’artiste est celui du récit d’espaces intimes et de leur pouvoir d’intériorité, en rapport aux histoires singulières qui ont façonné la ville et traversé ses monuments ; dans un mouvement allant de l’ambivalence de l’isolement et de la représentation, des contradictions de l’ordre religieux pouvant à la fois faire vœux d’austérité et déployer un apparat fastueux, de la réclusion aux mondanités et aux pouvoirs en jeu.

À la Chartreuse, l’artiste a choisi d’investir la bugade, lieu singulier dédié à la fois à la grande lessive des draps, à la cendre, mais aussi à l’isolement, l’emprisonnement et la quarantaine. Les hauts murs destinés à couper toute vue de l’intérieur vers l’extérieur tout comme de l’extérieur vers l’intérieur, ainsi que diverses salles de la Chartreuse non ouvertes au public, ont incité l’artiste à travailler sur la chambre, dans le sens de la cellule, du boudoir, de l’intime, et bien sûr de l’appareil photographique et de la camera obscura.

Ces aspects ambivalents entre représentation, réclusion subie et réclusion choisie lui remémorent l’épisode du premier confinement de la crise du COVID dans ses divers aspects, intimes, psychologiques, contemplatifs, politiques et sociaux, et le ressenti complexe qui en a découlé. C’était il y a cinq ans tout juste et sans doute que personne n’en est totalement sorti indemne.

Avec un ensemble de photographies qu’il a pensé dans un premier temps cacher derrière des rideaux sans qualité, le photographe évoque la fonction initiale de la bugade[2] mais également les tableaux de l’église de la Chartreuse, cachés par des rideaux durant les offices, et la nouvelle fonction du monument, lieu de résidence d’artistes dédié à l’écriture théâtrale, permettant de trouver des conditions d’isolement propices à la création. Au regard de la prolifération actuelle des images, le rideau est aussi un moyen de modifier le regard, d’appeler à un geste de dévoilement et d’ouverture où tout est en suspens, un espace entre présence et représentation. Dans ce théâtre, les images présentées mettent en abîme l’origine et la nature même de la photographie, l’empreinte d’un corps sur un tissu sous l’effet de la lumière. Les pièces vides d’un immeuble HLM destiné à la destruction donnent à voir les traces de leurs habitants, imprimées en négatif sur les murs. En toute humilité, à l’instar de l’oublie[3] installée sur l’autel à l’étage, se rejoue un mystère, où il est question d’incarnation, de disparition, d’impermanence, de vie et de mort, de recherche de sens. L’esthétique dans son évidence fragile s’affranchit de la tyrannie du visible, les espaces vides sont pleins de souvenirs vécus et de rêves visuels. Ici les œuvres ne convoquent plus la tradition mais proposent une expérience à l’origine lointaine, inscrite à même l’étoffe domestique, intime et symbolique : le voile de Véronique, le linceul, le drapé et le rideau de scène.

D’autres images rythment l’ensemble, comme des effractions vers l’extérieur, bord de route ponctué de miroirs, colonne factice tout droit sortie d’un péplum, pelouse à l’allure de jardin de sculptures arborant une simple buse en béton comme une fenêtre au dehors. Le spectacle du monde est une fiction dont la mise en scène reflète l’artificialisation, de l’appétence contemporaine pour une esthétique du factice, la construction de modèles à partir d’images préfabriquées, nourries d’imaginaire cinématographique et publicitaire. Autant de collisions sociales, de chocs visuels, de lustre et de décors dérisoires.

Au musée Pierre-de-Luxembourg, en dialogue avec ses collections et dans le frayage des lieux de Villeneuve lez Avignon, la grande histoire rejoint la petite, l’apparat du monumental côtoie l’intimité de l’espace privé. Une image du tombeau, celui du pape Innocent VI, installé à proximité du Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton comme à son origine[4], fait pendant aux vues d’un petit boudoir cendré, situé en marge au cœur de la Chartreuse et inaccessible, présentées dans la

délicate dérision de vitrines désuètes qui se mettent elles-mêmes en scène, proposant une sobre mise en abime de muséographie révolue[5].
À la dentelle sculptée du vaste monument papal qui occupe tout le champ photographique de ses courbes et de ses flèches, répond l’étrangeté d’un minuscule espace vide qui se répète, vertige de l’image dans l’image. Si par définition, la vision photographique déforme la réalité, les temps de prise de vue en poses longues, dans des conditions lumineuses ténues, propres au travail de Yohann Gozard, impriment une dimension surnaturelle voire fantastique au sujet. Le temps comme étiré et suspendu, génère à la fois une mobilité et une permanence des formes, de l’imaginaire photographique à celui propre au cinéma. À l’instar d’un palimpseste, le boudoir devient le lien des superpositions et des mirages, l’alcôve, le théâtre des réminiscences. L’absence de personnages dans l’œuvre de Yohann Gozard participe sans aucun doute à ce que ses images s’emparent de nos regards et s’investissent d’une réalité « magique ».

Du fort à la construction massive et autoritaire, tantôt forteresse royale, prison, hôpital militaire, premier bourg et abbaye au vestige romantique, Yohann Gozard retient le point de vue en surplomb, qui permet la contemplation d’un panorama dégagé à 360° sur Villeneuve lez Avignon, les massifs montagneux de la région et bien sûr vers Avignon, centre du pouvoir papal. Contamination du proche et du lointain, le vertige devient une manière d’être en proie à tout l’espace.
Les vues montrées en ce lieu, en dépit de la précision de leurs détails et de la netteté de leur impression livrent des paysages hors du temps, flirtant avec la peinture italienne (vedute) des XVIIe et XVIIIe siècles. Aux antipodes de l’instant et d’une trop grande acuité visuelle que permet la technique, le paysage vibre dans l’épaisseur de l’ombre et de la lumière qui irradient l’espace. Dans cette intimité du soir ou de la nuit, le paysage vient littéralement à notre rencontre, le temps et l’espace condensés alors en d’uniques images aux contours flous et aux formes fantomatiques. Comme autant de traces, d’images et d’expériences immatérielles éprouvées dans le souffle du vent et la jubilation vécue durant les prises de vues du paysage vallonné offert au regard, où les archétypes des campagnes italiennes ponctuées de cyprès ou de pins maritimes, incarnent l’histoire de ces représentations. La fenêtre photographique au cadrage précis s’ouvre dans la nuit pour voir le monde dans une sorte d’unité et d’harmonie. Une réalité isolée apparait alors dans l’intimité de l’acte et le vide qui l’éclaire.

En parallèle, faisant écho aux hagioscopes des cellules de la bugade, ces ouvertures pointant vers l’autel de la chapelle permettant de suivre visuellement l’Élévation de l’hostie durant les offices, la trouée vers le logos se transforme au fort en une percée de lumière dans la chambre noire, la caméra obscura. À nouveau il est question des origines de la photographie, d’illusion et de manière symbolique, de réconciliation entre la lumière et l’obscurité.

Le parcours se termine à la tour Philippe-le-Bel qui accueille une exposition de la collection du Frac en dialogue avec les préoccupations artistiques de Yohann Gozard. L’ensemble associe des œuvres de Benjamin Aman, Renaud Auguste-Dormeuil, Suzy Lelièvre, Sarah Ritter et Yohann Gozard, qui invitent à la contemplation tout en faisant vibrer l’espace et la matière. Cet autre monde de la poésie renvoie à la vision, au souffle du monde et à l’intranquillité que nous traversons. Au centre du tissu déchiré apparaissent des images qui évoquent un drame et transforment notre regard, pour mieux percevoir l’invisible et la possibilité d’une vérité dans son inquiétante étrangeté.

[1] La Chartreuse cumule ces doubles caractéristiques : lieu d’étude spirituelle et de silence, ce type de monastère est censé s’établir dans un désert pour maintenir un triple périmètre d’isolement par rapport au monde extérieur, et s’abstenir, autant que possible, de tout superflu, de richesse et de représentation. Mais par la volonté d’un pape, celle de Villeneuve lez Avignon est richement dotée et elle est fondée autour d’un palais comme noyau originel, au centre d’un bourg, et a deux pas de l’effervescence politique et mondaine du centre de la papauté.
[2] Buanderie.
[3] Pain dont la fabrication était un privilège des fabricants d’hosties : il s’agit d’une hostie non consacrée.
[4] Le point de vue de l’image correspond probablement peu ou prou au point de vue qui s’offrait de l’emplacement du tableau.
[5] Révolu est l’anagramme de Louvre…

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— Information pratiques
Pour connaître les jours, horaires et conditions de visite dans chaque site, nous vous invitons à consulter leur site Web :
Chartreuse-Centre national des Écritures du spectacle
58, rue de la République
Musée Pierre-de-Luxembourg
3, rue de la République
Fort Saint-André
57A, montée du fort
Tour Philippe-le-Bel
Montée de la tour

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