Courant continu

L’art contemporain est un domaine de questionnement sur la représentation de ce qui passe, ce qui est « contemporain » étant, par définition, temporaire, voire éphémère. Représenter le monde ne peut consister qu’en une tentative de suggestion des flux, des transformations qui affectent la matière et les corps en général, ceux des humains comme ceux de tous les êtres, vivants ou non. Les langages, les codes, les règles et usages sociaux au sens large, évoluent aussi sans cesse. Notre société contemporaine est précisément marquée (jusqu’à l’angoisse pour beaucoup d’entre nous) par cette instabilité des repères, dont le passage du temps, ressenti comme toujours plus rapide, est la manifestation la plus vertigineuse.
Et pourtant, pour faire une « œuvre », il faut parvenir à quelque fixation, à quelque « arrêt sur image » pourrait-on dire ! Que ce soit par le dessin, par la peinture, par la photographie ou la vidéo, par la sculpture sous toutes ses formes, ou avec des technologies nouvelles, les artistes contemporains sont ainsi à la recherche de formes aussi mobiles qu’immobiles, donnant autant le sentiment de la fuite que d’une inévitable permanence. Car, si le courant qui emporte le monde est « continu », il faut le comprendre aussi comme le gage d’une nécessaire continuité. Ainsi, la stabilité est-elle une illusion de l’esprit humain, ou bien procède-t-elle d’une exigence philosophique et artistique plus profonde ? Les grands artistes ne sont-ils pas ceux qui savent imposer à la réalité des moments de suspension, autrement dit la « saisir » malgré ses apparences… insaisissables ?
C’est cette double appréhension du réel par l’art contemporain que « Courant continu » veut donner à ressentir et à penser. Les formes de la création actuelle, dans le champ des arts plastiques, sont très variées, et cette exposition donnera à percevoir cette variété, gage de la diversité des imaginations individuelles. Mais le Moulin lui-même témoigne de l’institution collective qui permet de donner un cadre à cette diversité. Est-il trop contraignant ? Trop figé ? A-t-on déjà oublié toutes les transformations qu’il a connues ? Si c’était le cas, il est probable que les artistes et leurs œuvres sauront alors le faire (re)vivre de mille mouvements inattendus.

Emmanuel Latreille
Directeur du Frac Occitanie Montpellier
Commissaire de l’exposition